Lancé en open source par Anthropic en novembre 2024, le Model Context Protocol (MCP) représente bien plus qu’un progrès technique : c’est un tournant stratégique dans l’architecture de l’intelligence artificielle. En moins d’un an, le protocole a connu une adoption fulgurante : plus de 1 000 serveurs MCP développés dès février 2025, et un écosystème dépassant les 5 500 serveurs à l’automne.
Cette croissance spectaculaire ne relève pas d’un simple engouement communautaire. Elle traduit une mutation structurelle : la transition d’une IA-outil centrée sur l’utilisateur humain vers une IA-agent inscrite dans des écosystèmes distribués.
Jusqu’ici, les modèles de langage opéraient dans des environnements cloisonnés — répondant à des requêtes ponctuelles, sans réelle mémoire ni capacité d’action au-delà de leur espace de dialogue. Avec MCP, ces modèles acquièrent une capacité d’interopération : ils peuvent désormais agir dans le monde numérique, dialoguer avec des systèmes externes, orchestrer des flux de données et collaborer avec d’autres agents.
Cette évolution ouvre la voie à un web agentique, où les interactions ne se limitent plus à des interfaces homme-machine, mais se déploient entre agents autonomes capables de raisonner, d’apprendre et de coopérer. Le protocole devient ainsi le langage commun de cette nouvelle couche d’infrastructure, reliant les IA entre elles comme TCP/IP a jadis relié les ordinateurs.
Le MCP inaugure une infrastructure d’interconnexion cognitive : chaque serveur expose des capacités, chaque agent les découvre et les utilise, chaque interaction est traçable, vérifiable et gouvernée. Cette approche pose les fondations d’une intelligence distribuée, non centralisée dans un modèle unique, mais répartie entre des entités coopératives partageant des protocoles standards.
Dans cette perspective, MCP joue le même rôle pour l’ère agentique que HTTP pour le web ou Kubernetes pour le cloud : un standard invisible, mais structurant, qui rend possible la coordination à grande échelle.
Anticiper l’avenir du MCP exige de reconnaître la portée systémique de cette innovation. Le protocole ne transforme pas seulement la manière dont les IA s’intègrent ; il reconfigure :
- Les modèles économiques, en favorisant la création d’écosystèmes interopérables et de marketplaces d’agents.
- Les équilibres de pouvoir technologiques, en redéfinissant les dépendances entre acteurs du cloud, de la donnée et de l’IA.
- Les cadres éthiques et réglementaires, en posant la question de la gouvernance des décisions prises par des agents autonomes.
- Les souverainetés numériques, car un protocole ouvert mais contrôlé par un petit nombre d’acteurs peut devenir un levier géopolitique majeur.
Le MCP s’inscrit dans la trajectoire des grandes infrastructures de coordination numérique : celles qui, en s’imposant comme standards de fait, façonnent l’économie mondiale pour des décennies. Sa montée en puissance annonce un futur où les IA ne seront plus des outils isolés, mais des partenaires intelligents inscrits dans des réseaux fluides, gouvernables et potentiellement planétaires.
Perspectives d'évolution du protocole : modularité et interopérabilité cross-vendors
Extensions, plug-ins et évolution du standard
Le Model Context Protocol (MCP) repose aujourd’hui sur une architecture client-serveur basée sur JSON-RPC 2.0, directement inspirée du Language Server Protocol (LSP).
Cette conception modulaire n’est pas un choix anodin : elle garantit au protocole une extensibilité native, c’est-à-dire la capacité à évoluer sans rupture de compatibilité.
Chaque nouvelle brique fonctionnelle peut être intégrée comme une extension, sans remettre en cause le cœur du protocole — une approche essentielle pour un standard destiné à durer.
Lors du sommet MCP de septembre 2025, Anthropic et ses partenaires ont présenté une roadmap ambitieuse pour les années 2025–2026, articulée autour de quatre axes d’évolution prioritaires.
1. Multimodalité et streaming : vers des agents perceptifs
L’un des chantiers les plus attendus concerne la prise en charge native de la multimodalité.
L’objectif : permettre aux agents de traiter simultanément texte, audio, vidéo et données visuelles, tout en conservant une cohérence contextuelle entre ces flux.
Cette évolution repose sur deux innovations clés :
- Streaming bidirectionnel natif, pour des échanges continus et réactifs entre agents et serveurs.
- Chunking dynamique, permettant de segmenter les grands volumes de données (ex. : vidéos, séries temporelles, logs complexes) afin d’en faciliter le traitement incrémental.
Avec ces capacités, le MCP deviendra un véritable canal cognitif pour des agents capables de comprendre une réunion, d’analyser des signaux visuels ou de synchroniser des événements en temps réel — un pas décisif vers l’IA embarquée dans les environnements opérationnels.
2. MCP Registry : la colonne vertébrale de la confiance
Lancé en version preview en septembre 2025, le MCP Registry vise à devenir la “source de vérité unique” pour la découverte, la vérification et la distribution des serveurs MCP.
Ce registre centralisé apporte plusieurs innovations majeures :
- Découverte automatisée : chaque agent pourra identifier les serveurs compatibles sans configuration manuelle.
- Certification et signature : un mécanisme de trust verification authentifie les serveurs via des clés publiques, garantissant leur intégrité et leur origine.
- Méta-indexation : le registre ne stocke pas le code lui-même, mais les métadonnées de déploiement (version, dépendances, mainteneurs, compatibilité).
L’objectif est de fournir aux entreprises un écosystème sécurisé, traçable et gouvernable, évitant la prolifération de serveurs non vérifiés — une étape essentielle pour la maturité industrielle du protocole.
3. Authentification et autorisation renforcées
L’un des principaux défis du MCP reste la sécurisation des flux d’accès entre agents, clients et serveurs.
La feuille de route prévoit l’intégration complète des standards modernes de sécurité :
- OAuth 2.1 pour l’autorisation sécurisée,
- Dynamic Client Registration (DCR) pour l’enregistrement automatisé des applications clientes,
- SSO d’entreprise (Single Sign-On) via des intégrations avec Okta, Azure AD ou Auth0,
- Et la séparation explicite entre serveurs de ressources et serveurs d’autorisation, afin de réduire les risques d’escalade de privilèges.
Bien que ces évolutions soient déjà amorcées dans la spécification publiée en juin 2025, des défis persistent autour de la conformité aux politiques de sécurité des grandes entreprises — notamment pour la gestion des identités décentralisées et la délégation fine des permissions (RBAC/ABAC hybrides).
4. Implémentations de référence et interopérabilité multi-langages
Le succès du MCP repose sur sa neutralité d’écosystème. Après les SDKs Python et TypeScript, les implémentations en Java, Go, Rust et C# sont désormais en développement. Chacune s’accompagne de suites de tests de conformité automatisées, garantissant que les serveurs et clients respectent la spécification à la lettre.
Ces tests, publiés sous la forme d’un “MCP Compliance Kit”, permettront aux entreprises de valider leurs implémentations internes avant déploiement — une condition sine qua non pour éviter la fragmentation du standard.
Gouvernance ouverte et processus d'amélioration
Pour assurer son évolution pérenne, le MCP s’appuie sur un modèle de gouvernance communautaire ouvert. Le cœur de ce modèle repose sur le Specification Enhancement Proposal (SEP) — un processus inspiré des PEP (Python Enhancement Proposals) et des RFCs de l’IETF.
Le cycle de vie d’une proposition suit six étapes transparentes :
Proposal → Draft → Provisional → Prototyping → In Review → Accepted.
Chaque SEP doit être sponsorisé par un mainteneur principal et validé collectivement après discussion publique. Les Working Groups (sécurité, multimodalité, conformité, transport) et Interest Groups (entreprises utilisatrices, académies, open source) se réunissent régulièrement pour orienter les décisions.
Les réunions bi-hebdomadaires des core maintainers et la publication systématique des comptes rendus assurent un haut niveau de transparence.
Ce modèle distribué a un double objectif :
- Éviter la capture du protocole par un acteur dominant,
- Et garantir une cohérence technique dans un écosystème en expansion rapide.
MCP comme brique d'un Agentic Web : IA coopératives et mesh interopérable
L'émergence de l'Agentic Mesh
Le concept d’Agentic Mesh prolonge le Model Context Protocol (MCP) vers une architecture distribuée où plusieurs agents spécialisés collaborent au sein d’un réseau coordonné. L’idée s’inspire des service meshes (Istio, Linkerd) du monde cloud, mais transpose leur logique de supervision et d’orchestration à des systèmes cognitifs autonomes.
L’Agentic Mesh n’est pas une simple évolution technique du MCP : il en incarne la maturité, celle où l’IA ne se contente plus de répondre, mais orchestrationne, coordonne et apprend collectivement.
Les principes fondateurs du Mesh agentique
- Composabilité et modularité
Chaque agent, modèle ou outil devient un nœud interchangeable du réseau.
Il peut être ajouté, remplacé ou mis à jour sans modifier les autres composants, grâce à la standardisation des interfaces via MCP.
Cette modularité offre un double avantage : l’agilité d’évolution (ajout incrémental de capacités) et l’évolutivité (scalabilité horizontale naturelle). - Raisonnement parallèle distribué
Là où les premières architectures d’IA centralisaient la réflexion dans un seul modèle monolithique, le mesh distribue les tâches entre des agents spécialisés travaillant en parallèle.
Un agent peut, par exemple, extraire des données, pendant qu’un autre en fait la synthèse et qu’un troisième vérifie la cohérence.
Ce fonctionnement asynchrone améliore les performances et permet une spécialisation par domaine : finance, santé, logistique, recherche scientifique… - Découplage logique et gouvernance par couches
Le mesh sépare les responsabilités entre logique, mémoire, orchestration et interface.
Chaque agent opère de manière autonome tout en partageant un contexte commun synchronisé.
L’ensemble est documenté dans un système d’enregistrement des comportements, qui journalise chaque invocation d’outil, chaque erreur et chaque décision — une approche essentielle pour la traçabilité et la conformité. - Neutralité vis-à-vis des fournisseurs
Fidèle à l’esprit open standard, l’Agentic Mesh privilégie les protocoles ouverts (MCP, A2A de Google) aux APIs propriétaires.
Les composants peuvent ainsi être remplacés sans reconfiguration globale, garantissant interopérabilité et souveraineté.
Des implémentations concrètes comme AgentMesh ou les architectures multi-serveurs MCP démontrent déjà la viabilité de ce modèle.
Interopérabilité et protocoles concurrents
Le MCP est aujourd’hui le standard le plus avancé pour la communication agent–outil, mais il n’est pas seul sur le terrain. Plusieurs initiatives concurrentes ou complémentaires cherchent à couvrir d’autres couches de l’écosystème agentique.
1. Google Agent-to-Agent (A2A)
Annoncé en avril 2025 avec le soutien de plus de 50 partenaires (Salesforce, MongoDB, PayPal, etc.), le protocole A2A se concentre sur la communication inter-agents plutôt que sur l’accès aux outils. Il utilise également JSON-RPC 2.0 sur HTTPS et introduit un mécanisme de cartes d’agents permettant la découverte des capacités de manière décentralisée.
Google présente A2A comme complémentaire du MCP :
- MCP gère la connexion entre agents et ressources (données, API, outils).
- A2A gère la coordination entre agents autonomes.
En pratique, les deux se chevauchent sur certains cas d’usage, créant une tension saine entre convergence et spécialisation.
2. Autres protocoles émergents
- Agentica (WrtnLabs) : vise à réduire de 50 % les coûts d’intégration en s’appuyant sur des modèles légers et des serveurs simplifiés.
- Universal Tool Calling Protocol (UTCP) : supprime l’architecture proxy pour réduire la latence de moitié, au prix d’une perte de flexibilité.
Ces initiatives traduisent une dialectique classique dans l’histoire des standards : le MCP privilégie l’interopérabilité universelle et la robustesse, tandis que ses alternatives explorent la performance brute ou la simplicité d’implémentation.
3. Vers un consensus multi-protocoles
À long terme, l’écosystème pourrait se stabiliser autour d’une architecture multi-couches :
- MCP pour l’accès aux données et outils,
- A2A pour la coordination inter-agents,
- Et des protocoles spécialisés (UTCP, Agentica) pour des usages verticaux ou embarqués.
Cette convergence rappellerait l’évolution d’Internet, où HTTP, FTP et SMTP ont cohabité tout en remplissant des fonctions distinctes.
L’adoption par Microsoft d’un support natif de MCP dans Windows 11, et son intégration dans GitHub Copilot et Copilot Studio, laissent penser qu’un socle commun se dessine, sur lequel viendront se greffer des extensions sectorielles.
Web of Agents : une architecture fédérée
Le projet Web of Agents (arXiv:2505.21550) formalise cette vision d’un écosystème agentique interopérable à l’échelle du web. Son architecture minimale repose sur quatre piliers :
- Messagerie agent-à-agent — des standards pour la communication entre entités autonomes.
- Interopérabilité des interactions — des formats de données et protocoles d’échange normalisés.
- Gestion d’état distribuée — des mécanismes de synchronisation pour maintenir la cohérence entre agents.
- Découverte d’agents — des registres ouverts permettant d’identifier et de qualifier les capacités disponibles.
Ces travaux rejoignent les initiatives du W3C “Autonomous Agents on the Web” Community Group, qui explore comment adapter les standards web (HTTP, WebSockets, RDF, DID) aux besoins de l’intelligence distribuée.
L’objectif commun : éviter la fragmentation en silos incompatibles et poser les bases d’un “internet des agents” — un réseau ouvert, sécurisé, auditable et évolutif, où humains et IA coopèrent à égalité de protocole.
Enjeux de régulation, d'éthique et de souveraineté technologique
Gouvernance distribuée et responsabilité
L’autonomie croissante des agents IA, rendue possible par le Model Context Protocol (MCP), bouleverse les cadres traditionnels de responsabilité et de gouvernance.
Dès lors que plusieurs agents collaborent au sein d’un même système — par exemple un agent financier, un agent RH et un agent logistique coordonnant une opération — se pose une question centrale : qui est responsable en cas d’erreur, de préjudice ou de décision non conforme ?
Le MCP, en tant qu’infrastructure de communication, ne définit pas intrinsèquement la responsabilité. Il fournit le canal, pas le cadre éthique ni juridique. Cette lacune structurelle place la gouvernance au cœur des enjeux de l’ère agentique.
Responsabilité juridique et conformité réglementaire
Les nouvelles régulations, telles que le EU AI Act (entré en vigueur en août 2024), imposent aux systèmes d’IA à haut risque des exigences strictes en matière de transparence, de traçabilité et de gestion des risques.
Pour être conforme, une architecture agentique fondée sur MCP doit :
- Tracer toutes les interactions inter-agents grâce à un audit logging détaillé,
- Permettre la révocation d’accès à un agent ou serveur compromis,
- Et rendre explicables les décisions prises au sein d’un raisonnement distribué.
Les spécifications actuelles du MCP n’intègrent que partiellement ces fonctions.
Les Working Groups de conformité travaillent désormais sur un chantier majeur : l’ajout de modules de compliance by design, permettant d’intégrer directement les politiques d’audit, d’accès et de traçabilité dans le protocole lui-même.
La logique de “gouvernance par conception” (governance by design) devient donc incontournable. Les politiques d’accès, de consentement et de respect de la vie privée doivent être encodées dans les configurations MCP, et non ajoutées a posteriori.
De nouvelles approches émergent, telles que l’Explainable MCP, qui vise à enregistrer non seulement les actions exécutées, mais aussi les raisonnements sous-jacents des agents — un équivalent du “log des intentions” au sein du réseau agentique.
Biais, équité et transparence
Comme toute technologie fondée sur des modèles d’apprentissage, les systèmes basés sur MCP peuvent amplifier les biais présents dans les données d’entraînement ou dans les outils qu’ils utilisent.
Un agent RH connecté à un système de recrutement biaisé pourrait reproduire — voire étendre — des discriminations à grande échelle.
Pour y remédier, les acteurs du MCP explorent plusieurs leviers :
- Audits de biais systématiques, réalisés à intervalles réguliers sur les serveurs et agents,
- Fairness checks intégrés dans les workflows MCP, validant les critères d’équité avant exécution,
- Chaînes de décision transparentes, où chaque étape du raisonnement est journalisée avec ses métadonnées contextuelles (source, date, justification).
Le MCP Registry pourrait jouer un rôle structurant en certifiant les serveurs éthiques — c’est-à-dire conformes à des critères de non-discrimination, de respect de la vie privée et de conformité réglementaire. À terme, on pourrait imaginer un label “Fair MCP”, attestant la conformité éthique d’un serveur, à l’image des certifications ISO ou SOC dans le cloud.
Souveraineté technologique et indépendance stratégique
Au-delà des questions éthiques, l’enjeu est aussi géopolitique.
L’Europe a fait de la souveraineté numérique le cœur de sa stratégie IA, notamment à travers deux initiatives :
- le AI Continent Action Plan (avril 2025),
- et la Apply AI Strategy (octobre 2025).
Ces plans visent à réduire la dépendance vis-à-vis des écosystèmes américains (OpenAI, Microsoft, Google) et chinois, en développant une chaîne de valeur IA autonome : données, calcul, modèles et gouvernance.
La stratégie “AI First” portée par la Commission européenne incite déjà les entreprises à intégrer l’IA comme levier de compétitivité et de productivité.
Le MCP, en facilitant l’intégration des agents IA dans les systèmes métiers existants, pourrait devenir l’accélérateur naturel de cette transformation — à condition que les acteurs européens en maîtrisent toute la chaîne technologique : les modèles, les infrastructures de calcul et les protocoles de gouvernance.
Le MCP, bien que né chez Anthropic (startup américaine), offre paradoxalement une opportunité unique pour l’Europe. En tant que standard ouvert, il n’est pas captif d’un acteur unique et peut servir de fondation à un écosystème agentique souverain.
Concrètement, l’Europe pourrait :
- développer des serveurs MCP publics pour la santé, l’éducation, l’administration,
- bâtir des registres européens certifiés, garantissant la conformité éthique et réglementaire,
- et encourager des implémentations open source auditables, hébergées sur des infrastructures souveraines.
Rôle de l'open source et des alliances industrielles
Dynamique communautaire et adoption industrielle
Le Model Context Protocol (MCP) n’a pas simplement bénéficié d’un bon design technique ; il a surtout trouvé sa force dans une stratégie d’ouverture radicale. Dès son lancement, Anthropic a fait le choix déterminant de rendre le protocole open source, permettant à tout acteur — développeur individuel, startup ou grand groupe — de contribuer sans autorisation préalable. Cette décision a déclenché une dynamique d’innovation distribuée qui s’est rapidement transformée en un véritable mouvement d’écosystème.
En moins d’un an, plus de 5 500 serveurs MCP ont été développés, un chiffre qui illustre la vitesse de diffusion du standard et la maturité de sa communauté technique. Cette vitalité est renforcée par la convergence progressive de plusieurs alliances industrielles majeures.
Microsoft : la convergence Copilot–MCP
Microsoft est aujourd’hui l’un des piliers de l’adoption du MCP. Le protocole est désormais intégré nativement dans Windows 11, GitHub Copilot et Copilot Studio, créant un continuum entre les environnements de développement et les agents conversationnels.
Le service Dataverse, la base de données d’entreprise de Microsoft, expose un serveur MCP officiel, permettant aux agents d’accéder directement aux jeux de données métiers sans passer par des APIs propriétaires.
Hugging Face : la standardisation ouverte du savoir IA
Hugging Face a publié son propre serveur MCP officiel, donnant accès aux modèles, datasets, Spaces et articles hébergés sur sa plateforme.
Cette intégration, compatible avec Claude Desktop, VS Code et Cursor, transforme le Hub Hugging Face en un réservoir contextuel universel pour les agents MCP — un espace où les IA peuvent non seulement puiser de la donnée, mais aussi interagir avec les artefacts d’apprentissage.
Google : une adoption prudente mais stratégique
Google a choisi une approche graduelle.
Si Gemini et Google Workspace implémentent déjà des protocoles compatibles MCP, l’entreprise continue de promouvoir en parallèle son propre standard, A2A (Agent-to-Agent). Cette cohabitation illustre une stratégie d’équilibre : soutenir l’interopérabilité tout en conservant un levier d’influence sur la couche de communication inter-agents.
OpenAI : le tournant de l’interopérabilité
En 2025, OpenAI a intégré le support MCP dans son Agents SDK, permettant à GPT-4 et à ses successeurs d’invoquer directement des outils via des serveurs MCP. Ce geste marque un changement stratégique profond : le leader du marché (avec 35 % d’adoption en entreprise) reconnaît désormais la valeur d’un protocole cross-vendors — une reconnaissance implicite que la croissance du marché passera par la coopétition standardisée, et non par le verrouillage propriétaire.
Écosystème développeur : la base vivante du standard
Les outils de développement les plus populaires — Cursor, Cline, Zed, Replit, Sourcegraph — ont intégré le protocole. Autour d’eux, un écosystème de registres communautaires (mcp.so, MCP Market, PulseMCP) s’est constitué, facilitant la découverte, la notation et le partage de serveurs.
Ces plateformes fonctionnent comme les “App Stores” du monde agentique, où la confiance, la traçabilité et la réputation deviennent les nouveaux moteurs d’adoption.
Linux Foundation et gouvernance multi-acteurs
À ce jour, aucune annonce officielle ne confirme l’hébergement du MCP sous l’égide de la Linux Foundation ou d’une structure équivalente.
Cependant, de nombreux observateurs anticipent qu’à mesure que le protocole se consolide, un consortium multi-entreprises verra le jour pour en garantir la neutralité, la gouvernance et la pérennité.
Ce futur consortium pourrait jouer un rôle analogue à celui de :
- la Cloud Native Computing Foundation (CNCF) pour Kubernetes,
- ou de l’OpenSSF pour la sécurité logicielle open source.
Ses missions seraient triples :
- Coordonner les efforts de développement des implémentations de référence,
- Financer la maintenance et la sécurité du protocole,
- Arbitrer les évolutions et conflits techniques entre contributeurs.
Le modèle de gouvernance actuel — centré sur Anthropic, mais ouvert aux contributions externes — devra évoluer vers une structure collégiale.
Cette transformation sera déterminante pour crédibiliser le MCP comme infrastructure de confiance mondiale, et non comme un standard dominé par un acteur privé.
Sécurité, supply chain et registres de confiance
La nature ouverte et distribuée du MCP, si elle favorise l’innovation, crée également un nouveau champ de vulnérabilités. En théorie, n’importe qui peut publier un serveur MCP. En pratique, cela ouvre la porte à des risques de supply chain : serveurs compromis, malveillants ou simplement mal configurés.
Une étude récente a mis en lumière l’ampleur du problème :
- 43 % des implémentations testées présentaient des vulnérabilités d’injection de commande,
- 30 % étaient exposées à des failles SSRF,
- 22 % autorisaient un accès arbitraire au système de fichiers.
Pour répondre à ces menaces, le MCP Registry en cours de développement devra intégrer :
- des mécanismes de certification basés sur la signature numérique,
- un audit de sécurité automatisé,
- et des systèmes de réputation des serveurs (trust scoring).
Des outils open source comme mcp-scan émergent déjà pour détecter les vulnérabilités, les configurations dangereuses ou les tentatives de tool poisoning (injections malveillantes dissimulées dans les métadonnées d’outils).
L’écosystème open source joue ici un rôle essentiel de vigie collective. Des initiatives comme GitHub Security Advisories, OWASP AI Security Project ou AI Supply Chain SIG contribuent à renforcer les pratiques de sécurité autour du protocole.
Mais les entreprises devront, elles aussi, adopter des procédures internes rigoureuses :
- whitelisting des serveurs MCP autorisés,
- scans de sécurité automatisés dans les pipelines CI/CD,
- tests en sandbox non-production avant tout déploiement.
Cette combinaison d’outillage communautaire et de gouvernance d’entreprise dessinera les fondations d’un écosystème MCP sécurisé, certifiable et durable.
Prédictions et trajectoires d'avenir (2025-2030)
Le Model Context Protocol (MCP) entre dans une phase de structuration décisive.
Après l’euphorie de l’adoption précoce, la décennie 2025–2030 verra émerger une ère de consolidation et d’industrialisation, où le protocole deviendra une véritable infrastructure cognitive mondiale.
Standardisation et maturité (2025-2026)
Les deux prochaines années marqueront la stabilisation du standard.
Selon la feuille de route communautaire, la version 2.0 du MCP, attendue pour le 25 novembre 2025, intégrera trois évolutions structurantes :
- la multimodalité native (texte, audio, vidéo, signaux),
- le streaming bidirectionnel pour les flux de données continus,
- et une authentification renforcée conforme à OAuth 2.1 et DCR.
Cette version stable constituera la base technique nécessaire à l’adoption en production à grande échelle.
En parallèle, un ensemble de frameworks de conformité verra le jour :
- des test suites normalisées pour valider les implémentations,
- des certifications de serveurs MCP garantissant sécurité et interopérabilité,
- et un registre centralisé agrégeant les métadonnées des serveurs, facilitant la découverte et la vérification des composants.
À l’image du rôle joué par le CNCF Landscape dans le cloud natif, le MCP Registry deviendra le carrefour central de l’écosystème agentique.
Prolifération des agents et orchestration multi-agents (2026-2028)
À partir de 2026, la généralisation de l’IA agentique transformera la nature même des systèmes d’information. Les architectures multi-agents orchestrées via MCP deviendront la norme dans les environnements complexes.
De nouveaux modèles d’organisation émergeront :
- un agent coordinateur (“Chief of Staff”) gérant la planification,
- entouré d’agents spécialistes (Coder, DevOps, Data Analyst, Legal Advisor, etc.),
- tous interconnectés via MCP et échangeant en temps réel dans un mesh distribué.
Ces Agentic Meshes deviendront les architectures de référence pour les systèmes cognitifs distribués, avec une communication fluide, traçable et gouvernable entre chaque agent.
Les grands acteurs du cloud suivront rapidement :
- AWS Lambda, Google Cloud Run et Azure Functions intégreront nativement le protocole MCP,
- permettant le déploiement serverless d’agents capables de s’orchestrer mutuellement sans passer par des API propriétaires.
Cette convergence entre cloud et agentic mesh marquera la fusion entre informatique d’infrastructure et intelligence adaptative.
Consolidation et écosystème mature (2028-2030)
Entre 2028 et 2030, le MCP atteindra sa maturité industrielle.
L’écosystème entrera dans une phase de rationalisation comparable à celle qu’a connue le cloud au début des années 2020 :
- Les patterns d’orchestration les plus efficaces se standardiseront.
- Des bibliothèques réutilisables de serveurs et d’agents émergeront.
- Les serveurs multi-tools, capables d’exposer plusieurs capacités en un seul module, remplaceront les implémentations mono-fonction.
- Les entreprises se tourneront vers des solutions packagées et certifiées, privilégiant la sécurité et la conformité à la flexibilité artisanale.
Le MCP évoluera également par intégration avec d’autres technologies structurantes :
- Blockchain et smart contracts pour la traçabilité et la confiance entre agents.
- Edge computing pour rapprocher les agents des données qu’ils traitent (industrie, santé, IoT).
- Cryptographie post-quantique pour sécuriser les communications à long terme.
Ces synergies transformeront le MCP en colonne vertébrale d’un écosystème d’intelligence distribuée, interconnectant des milliards d’agents et de systèmes hétérogènes.
Valeur économique et impact industriel
L’impact économique du MCP sera considérable. D’après McKinsey, l’interopérabilité entre systèmes d’IA — dont le MCP est la clé de voûte — pourrait générer jusqu’à 300 milliards de dollars de valeur ajoutée annuelle dans les infrastructures critiques d’ici 2030.
Cette valeur proviendra principalement de :
- la réduction des coûts d’intégration,
- l’automatisation des tâches à haute intensité cognitive,
- et la mutualisation des modèles entre écosystèmes partenaires.
Mais la maturité ne viendra pas sans risques.
Selon Gartner, d’ici 2027, plus de 40 % des projets d’IA agentique pourraient être abandonnés faute de retour sur investissement clair ou de gouvernance adaptée.
Le MCP, en réduisant la complexité d’intégration et en structurant les flux d’interaction, a le potentiel d’inverser cette tendance — à condition que les entreprises adoptent une approche disciplinée :
- définir des KPIs tangibles (temps économisé, taux de résolution, valeur générée),
- mesurer la traçabilité et la performance opérationnelle des agents,
- et investir dans la formation et la supervision humaine des systèmes.
Conclusion : vers un web agentique ouvert et gouverné
Le Model Context Protocol (MCP) n’est pas qu’un standard technique : c’est une infrastructure civilisationnelle pour l’intelligence distribuée — l’équivalent, pour l’ère agentique, de ce que HTTP fut pour le web des contenus.
Il constitue la couche d’interopérabilité sans laquelle les systèmes d’intelligence artificielle resteraient confinés à des environnements isolés, incapables de coopérer ou de s’auto-organiser.
Son évolution vers un écosystème mature — intégrant multimodalité, registres de confiance, gouvernance distribuée et interopérabilité entre fournisseurs — déterminera la forme même du web agentique mondial.
De sa structuration dépendra la possibilité d’un réseau d’agents intelligents capable de collaborer, d’apprendre et de raisonner à l’échelle planétaire sans compromettre la sécurité ni la responsabilité humaine.
L’enjeu du MCP dépasse de loin le champ de l’ingénierie logicielle. Il s’agit désormais de bâtir un web agentique ouvert, sécurisé et éthique, où les intelligences artificielles pourront interagir en respectant :
- la souveraineté des données,
- la protection de la vie privée,
- et les valeurs démocratiques sur lesquelles reposent nos sociétés.
Dans ce nouveau paradigme, la transparence, la traçabilité et la gouvernance partagée ne sont plus des options, mais des fondations. La question n’est plus seulement comment les agents communiqueront, mais sous quelle autorité, selon quelles règles et au service de quelles finalités.
Le MCP n’est pas une fin, mais le socle d’une recomposition profonde des systèmes numériques. Il ouvre la voie à une nouvelle ère — celle où les agents IA coopèrent dans des réseaux gouvernés, capables de raisonner collectivement, d’agir de manière distribuée et d’apprendre en boucle.
Les organisations qui maîtriseront cette infrastructure — tout en anticipant ses enjeux éthiques, réglementaires et géopolitiques — occuperont une position déterminante dans la décennie qui s’ouvre. Elles ne se contenteront pas d’utiliser l’IA : elles en deviendront les architectes systémiques.